Les archives des Bulles

Théâtre de la place, Emulation, Tivoli, une occasion manquée

samedi 22 janvier 2005, par François Schreuer

Peut-être bien que la saga de l’implantation définitive du théâtre de la place est terminée. Il semble en effet que tout le monde s’est définitivement mis d’accord pour installer le théâtre de la place dans les bâtiments de la société libre d’émulation, place du XX Août, en face de l’université.

Rétroactes. Initialement, le « théâtre du gymnase » se trouvait place Saint-Lambert, quelque part du côté de la pointe nord de l’actuel îlot Saint-Michel. Il fut l’une des victimes de la folie meurtrière du plan Lejeune à l’époque où l’on voulait construire des autoroutes sur la place Saint-Lambert. Le théâtre fut donc installé « provisoirement » dans un bâtiment fréfabriqué sur la place de l’Yser. Depuis plusieurs années déjà, ce bâtiment de la place de l’Yser prend littéralement l’eau, craque de toute part et il devient tout doucement temps d’envisager la construction d’un bâtiment durable pour le théâtre.

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En mai 1999, des élèves d’architecture de l’institut Saint-Luc avaient organisé une exposition de projets pour un théâtre sur le Tivoli, démontrant de la façon la plus efficace qu’il est bel et bien possible d’implanter un théâtre à cet endroit. La photo ci-dessus, prise à l’époque, montre un de ces projets (dont j’ignore malheureusement le nom de l’auteur).

L’îlot Tivoli. Longtemps, il fut question d’installer le théâtre sur le lieu dit « îlot Tivoli », soit l’espace, actuellement vide [1], séparant la place Saint-Lambert de la place du marché. La décision est d’ailleurs actée depuis le début des années ’80 dans le schéma directeur de la place Saint-Lambert (ou « plan Strebelle »).

Je crois qu’à bien des égard, l’implantation du théâtre à cet endroit était et est encore de loin la meilleure solution qu’on puisse trouver.

C’est d’abord le moyen de « fermer » définitivement le « trou de la place Saint-Lambert », de rendre à la place du marché une personnalité propre qu’elle a perdu depuis qu’elle joue les extensions de sa voisine, de restaurer au coeur de la ville une organisation de l’espace basée sur des petits espaces bien identifiés, de rompre avec cette « perspective » qui n’en est pas une qui courait il y peu de temps encore de la rue des Mineurs à l’Opéra. On voit mal en effet quel autre bâtiment qu’un théâtre serait à même de disposer du poids symbolique suffisant pour occuper un espace aussi important que celui séparant la place du marché de la place Saint-Lambert. Toute les propositions que j’ai vues pour remplir ce rôle me paraissaient soit complètement farfelues (reconstruire le choeur de la cathédrale Saint-Lambert), soit beaucoup trop faibles (un lieu d’accueil touristique).

C’est aussi un moyen de donner à la place Saint-Lambert et à l’hypercentre un peu plus d’animation en soirée, ce qui est cruellement nécessaire. Symboliquement, enfin, implanter sur la place principale de la ville un bâtiment à fonction culturelle, actuellement absente, serait pour le moins opportun. A ce égard, il serait regrettable de voir s’implanter sur l’espace Tivoli un bâtiment commercial ou administratif.

Malgré tous ces bons arguments, le projet de l’implantation sur le Tivoli fut abandonné, au motif — le seul à ma connaissance — de l’exiguïté des lieux. On disait qu’il serait difficile de faire tenir sur ce terrain le théâtre et ses dépendances (bureaux administratifs, ateliers de décors,...) et qu’il serait également difficile de construire des quais d’embarquement pour que les camions transportant du matériel puissent facilement le manutentionner. Et le projet retomba dans les limbes.

L’Emulation. Entre temps, peut-être soucieux de s’assurer une porte de sortie dans le cas où le dossier aurait traîné encore trop longtemps, le théâtre de la place avait investi le « manège » de la caserne Fonck, rue Ransonnet, superbe salle aux proportions démesurées, où sont depuis quelques années régulièrement organisés divers spectacles, notamment dans le cadre du festival de Liège. Malgré le fait que les lieux soient a priori peu adaptés au théâtre, la reconversion de cette salle est aujourd’hui une vraie réussite et son affectation devrait, je suppose, perdurer à long terme comme seconde salle du théâtre.

Et puis, depuis un peu plus d’un an, est né est s’est concrétisé en des délais assez brefs le projet d’installer le théâtre dans les bâtiments de la société libre d’Emulation, place du XX Août. Datant des années ’30, de style néo-mosan assez massif, cet édifice ne présente pas grand intérêt. Mais ce qui est surtout frappant pour qui a déjà eu l’occasion de visiter la salle, c’est que lieux sont très particulièrement... exïgus, qu’on se demande où les fameux ateliers de décors pourront être installés tandis que les lieux se prêtent sans doute encore moins que la place du marché à l’installation de quais pour les camions. Pour tout dire, comme on le voit facilement sur un plan détaillé de Liège, l’espace au sol de l’Emulation est sensiblement moins vaste que celui du Tivoli, ce que la hauteur autorisée plus importante du bâti ne compense sans doute que partiellement. Bref, la cohérence règne.

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Un second projet issu de la même exposition.

Propositions. Pour autant, je ne crois pas qu’il faille dénoncer comme absurde l’installation du théâtre dans le bâtiment de l’Emulation. En choisissant une solution qu’il est possible de mettre rapidement en oeuvre, elle a le mérite d’apporter une réponse aux problèmes du bâtiment de la place de l’Yser que la construction sur l’îlot Tivoli — après des années d’errements dans le dossier — aurait été incapable de donner en raison du temps nécessaire à la nouvelle construction. Bref, le choix de cette solution fait la preuve d’un esprit pragmatique dont on aurait plus souvent voulu plus souvent voir dotés les mandataires publics liégeois.

On pourrait aussi se dire qu’en choisissant de réaffecter un bâtiment existant, c’est une solution peu coûteuse qu’on choisit. Il n’en est rien : les chiffres cités (plus de 150 millions d’euros) sont équivalents au prix de la construction d’un théâtre neuf.

Là, j’avoue que j’ai du mal à suivre. Il me semblerait nettement plus raisonnable de considérer l’implantation de la place du XX Août comme provisoire, en évitant toute dépense somptaire (dans le projet actuel, il semblerait notamment que des expropriations soient prévues pour donner un débouché au nouveau théâtre sur la rue des Carmes !), en attendant qu’il soit possible de construire à Liège un théâtre à la mesure de ce qu’on peut s’attendre à trouver dans une ville de sa taille ; en attendant aussi que les finances communales permettent à nouveau à la ville de se lancer dans un projet comme celui-là. Grâce à l’existence de l’Emulation, le temps nécessaire serait disponible pour lancer un concours international d’architecture pour ce nouveau théâtre sur le site du Tivoli. Quant à la salle de l’Emulation, elle trouvera alors sans problème une affectation : entre la troupe universitaire, le conservatoire (précédent occupant des lieux) ou d’autres projets d’occupation qui ne manqueront pas de naître, on devrait avoir l’embarras du choix.

Ce texte a été initialement publié sur le site Liege.eu.org.

Notes

[1Cela dit, il est régulièrement utilisé pour diverses usages, comme le marché de Noël ou des manifestations artistiques.