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Les recettes « démocratiques » d’un ancien président italien contre les mouvements sociaux

jeudi 30 octobre 2008, par François Schreuer, Mehdi Tekaya

Voici la traduction d’un extrait d’une interview de Francesco Cossiga, ancien président du conseil et président italien, parue dans le journal Quotidiano Nazionale le 23 octobre dernier.

Cette interview est à replacer dans le contexte de la très importante mobilisation du monde de l’enseignement italien qui a lieu depuis un mois en réaction aux coupes budgétaires (7,8 milliards d’euros, 87.000 suppressions de postes d’enseignants) décidées par le gouvernement Berlusconi. La reforme de la ministre Mariastella Gelmini prévoit la diminution de l’horaire scolaire dans le primaire, le passage à un enseignant unique par classe et la fermeture des petites écoles. Les universités sont également concernées : réductions d’effectifs et privatisations à peine déguisées sont notamment prévues.

Dans de nombreuses villes italiennes, étudiants, lycéens, professeurs et parents d’élèves se mobilisent contre la réforme. Voir par exemple l’article de Salvatore Aloïse dans Le Monde de demain.

« Il faut les arrêter. Le terrorisme aussi a commencé dans les écoles »

Rome, Andrea Cangini

Président Cossiga, pensez-vous qu’en menaçant les étudiants de l’usage de la force publique, Berlusconi a exagéré ?

Ça dépend. S’il pense être le président du Conseil d’un Etat fort, il n’a pas bien fait. Mais comme l’Italie est un pays faible, et que, dans l’opposition, on ne trouve plus le solide PCI mais l’évanescent Parti démocrate (PD), je crains que de la parole aux actes, il y ait un pas que Berlusconi ne franchira pas.

Quelle position devrait-il tenir ?

Maroni [Ministre de l’Intérieur, Ligue du Nord] devrait faire ce que j’ai fait moi-même quand j’étais ministre de l’Intérieur.

C’est-à-dire ?

En premier lieu, ne pas s’occuper des étudiants des lycées. Pensez à ce qui se passerait si un gamin était tué ou gravement blessé…

Et les universitaires ?

Laisser faire. Retirer les forces de police des rues et des universités, infiltrer le mouvement avec des agents provocateurs prêts à tout et laisser pendant une dizaine de jours les manifestants dévaster les magasins, mettre le feu aux voitures, mettre les villes à feu et à sang.

Et ensuite ?

Ensuite, fort du consensus populaire, faire en sorte que le son des ambulances éclipse celui des voitures de police.

Dans quel sens…

Les forces de l’ordre ne devront pas avoir de pitié et devront tous les envoyer à l’hôpital. Ne pas les arrêter : de toute façon, les magistrats les remettraient directement en liberté. Mais taper. Et taper aussi les professeurs qui les excitent.

Même les professeurs ?

Surtout les professeurs.

Président, votre point de vue est un paradoxe, non ?

Certes, je ne dis pas, les vieux. Mais les jeunes professeures (sic), bien. Vous vous rendez compte de la gravité de la situation ? Il y a des enseignants qui endoctrinent les enfants et les font descendre dans la rue : c’est un comportement criminel.

Mais vous vous rendez compte de ce que dirait l’Europe avec des telles méthodes ? Il diraient que le fascisme est de retour en Italie.

Des conneries. Ça, c’est la recette démocratique. Eteindre la flamme avant qu’elle ne devienne un incendie.

Quel incendie ?

Je n’exagère pas. Je crois vraiment que le terrorisme va ensanglanter les rues de ce pays. Et je ne voudrais pas qu’on oublie que les brigades rouges ne sont pas nées dans les usines mais dans les universités. Et les slogans qu’ils utilisaient avaient été utilisés précédemment par leur mouvement étudiant et par la gauche syndicale.

Il est donc possible que l’histoire se répète ?

Ce n’est pas possible. C’est probable. C’est pour cela que je dis qu’il ne faut oublier que les brigades rouges sont nées parce que le feu n’a pas été éteint à temps.

[…]

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